Le mythe de l’identité parfaite : ces vies consacrées à devenir tout ce que le monde demande

Il existe un type de souffrance que beaucoup portent sans jamais la nommer, celle de ne jamais avoir eu le droit d’être simplement soi-même. Certaines personnes grandissent avec la conviction intime que leur existence, telle qu’elle est, ne suffit pas. Pas assez pour être remarquée, choisie ou même mériter une place. Alors elles se lancent dans un projet de reconstruction identitaire où il ne s’agit pas juste de devenir quelqu’un, mais de devenir tout. Tout ce qu’il faut pour être enfin vu.

Cette identité construite n’est pas seulement compétente. Elle est une mosaïque de contradictions : humble mais exceptionnelle, douce mais dangereuse, indépendante mais disponible, stable mais adaptable, brillante mais jamais menaçante, sensible mais parfaitement contrôlée. Elle doit être tout pour tout le monde, tout en n’étant jamais “trop” de rien. Ni trop exigeante, ni trop fière, ni trop vivante.

Cette solution naît dans des environnements où la visibilité n’est jamais donnée gratuitement. L’attention n’arrive que lorsqu’on performe. L’amour n’apparaît que lorsqu’on s’adapte. On se rend utile et on devient ce qu’il faut. Les enfants qui voient leur présence passer inaperçue apprennent vite la règle implicite qu’exister n’est pas un état naturel, mais une récompense à quelque chose. Ils découvrent que pour être remarqués, ils doivent s’ajuster. Ils apprennent à occuper de l’espace uniquement en devenant ce que l’autre attend.

Et dans certains environnements encore plus instables, tout cela se complique. Vous grandissez auprès de personnes dont les besoins émotionnels changent constamment, dont le vide intérieur est impossible à combler. Alors vous vous adaptez. Vous devenez la personne qui stabilise et qui absorbe. À force de vous ajuster aux besoins des autres, quelque chose se perd. Vos préférences, votre spontanéité, votre légèreté. Vous cessez d’être une personne pour devenir une fonction. La règle devient : “Si je comble leur vide, peut-être qu’un jour, je serai choisi.” Mais les personnes qui vivent avec le vide ne savent comment le combler (cela serait trop facile, non?). Alors un jour elles demandent une chose et un autre son contraire. Elles demandent la fusion puis l’espace, l’admiration puis la distance, la force puis la douceur. Et vous suivez ces oscillations jusqu’à disparaître dans leur changement d’humeur.

Ce type de vécu produit une identité qui doit contenir tous les contraires. Chaque qualité développée n’est pas un trait, mais une protection. On devient exceptionnel pour éviter l’invisibilité, humble pour éviter le rejet, contrôlé pour éviter d’être mal interprété. On devient tout pour ne jamais être oublié.

Vous avez appris que votre identité ne vous appartenait pas. Qu’elle vivait dans le regard des autres. Qu’elle pouvait vous être retirée, déformée, ou brisée à tout moment. Et c’est ainsi que vous avez commencé à redouter le poids du jugement, au point de vouloir devenir irréprochable pour n’être plus jamais mal vu.

Mais la facture arrive tôt ou tard : plus vous devenez parfait, moins vous existez. Vous devenez visible à tous, mais connu de personne — pas même de vous. C’est là ou se trouve la contradiction : on passe sa vie à vouloir être vu, en utilisant une stratégie qui nous rend invisibles. On veut être reconnu, mais on se cache derrière un personnage. On espère qu’un jour, lorsque l’identité sera enfin parfaite, presque complète, au bord de la résolution, on pourra montrer son vrai visage. On se dit : “Je suis presque cette personne exceptionnelle qu’ils voudraient que je sois. Juste un peu plus de travail. Et ensuite je pourrai enfin être moi.” Mais ce “presque” est le piège. C’est le dernier centimètre, dernier espace qui vous permettra de prendre un pas de côté avant que le masque se colle à jamais sur votre visage. Aujourd’hui, il faut faire ce pas de côté pour sauver le peu de vous qui vous reste.

Mais le “presque” est trop séduisant. Vous avez trop investi, vous avez même une certaine forme de loyauté maintenant. Une loyauté envers celui ou celle pour qui vous vouliez être visible, autrefois, un parent, un amour, une figure dont le regard comptait plus que tout. Vous avez tenté d’être vu par quelqu’un d’incapable de regarder. Et comme ce regard ne s’est jamais posé sur vous, la règle s’est élargie au monde entier. Mais le monde n’est pas fait que de regards sourds. Il existe des êtres capables de voir. Ceux qui ont compris que l’humanité n’est pas un concours de perfection. Ceux qui ne confondent pas la richesse d’un être avec sa capacité à correspondre à un idéal étroit et qui reconnaissent la beauté d’un détail inattendu, d’une manière singulière d’être au monde, d’un geste qui n’appartient qu’à vous. Peut-être même faites-vous partie de ces êtres-là, ceux qui voient autrement, qui savent percevoir la profondeur sous les apparences. Ces personnes existent, et elles reconnaissent les différences non comme des défauts, mais comme des portes d’entrée vers quelque chose d’unique. Elles voient ce que le regard ancien n’a jamais su voir : vous.

À propos de l’auteur

Je suis Ayoub El Haroussi, psychologue clinicien à Bordeaux.
J’accompagne des adultes qui se sentent émotionnellement bloqués, en situation de transitions de vie, de deuil, de surcharge mentale ou d’anxiété relationnelle

Je reçois en cabinet à Bordeaux et en visioconférence.

Si vous vous êtes reconnu dans ces mots, je vous invite à franchir le pas et à en parler.

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