Quand personne ne sait combien c’était (c’est) dur : L’injustice de la non reconnaissance.

Il y a ceux qui ont grandi sans être soutenus, sans qu’une main vienne alléger leur poids. Quand personne ne vous a jamais porté, personne ne peut comprendre le poids que vous avez dû supporter. Les gens voient où vous êtes arrivé, mais ils ne voient pas la route qui vous a mené là. Ils ne voient pas les nuits, les peurs et les efforts. Ils voient l’adulte debout, alors qu’en vous, il existe l’histoire d’un enfant qui rampait et qui a du parcourir deux fois plus de distance que les autres.

Ce qui rend cette solitude encore plus douloureuse, c’est le mythe de l’égalité des points de départ. Le monde aime se raconter l’histoire que tout le monde commence au même endroit, que chacun traverse les mêmes obstacles, qu’il suffit de “vouloir” ou de “faire un effort”. C’est absurde et c’est injuste. Certains naissent sur le sol d’autres sont déjà en hauteur avant même d’avoir fait un pas. Et pourtant, tous sont mesurés avec la même règle. On compare les arrivées en oubliant les départs.

Il y a alors cette question qui serre la gorge : “Où est la justice dans tout ça ? Qui saura un jour ce que ça m’a coûté d’arriver jusqu’ici ?”

“Si personne ne le sait, est-ce que ça compte vraiment ?”

Rien n’est plus cruel que d’être comparé à ceux qui ont été aidés, soutenus, encouragés, portés. Entendre : “Tu t’en sors bien, de quoi tu te plains ?”. Surtout quand ça vient de quelqu’un qui n’a jamais su ce que veut dire se reconstruire depuis zéro.

Quand on a dû être son propre parent, sa propre épaule, il y a un deuil à faire. Le deuil des mots qui n’ont jamais été dits, du soutien qui n’est jamais venu, de la personne qui aurait dû être là mais ne l’était pas. Le deuil de la douceur qu’il a fallu tuer pour survivre.

“J’ai tout fait seul… et personne ne saura jamais ce que ça m’a coûté.”

C’est une vérité qui ne s’exprime que dans le silence. Et il n’y a pas de justice là dedans (la vie en offre très peu) mais il peut y avoir du sens.

Ce sens émerge dans l’espace où la douleur n’a pas été reconnue par les autres, mais où l’on commence enfin à se reconnaître soi-même.

C’est peut-être là la seule forme de justice que certains recevront dans leur vie : devenir leur propre témoin.

C’est une justice discrète, sans applaudissements. C’est accepter que personne ne saura jamais vraiment ce que vous avez traversé.

Cette reconnaissance ne dépend plus de personne.

“Je sais ce que j’ai vécu.” “Je sais ce que j’ai traversé.” “Je sais ce que j’ai construit.”

C’est choisir d’être fier, non pas aux yeux des autres, mais aux siens.

Car ce n’est pas le monde qui peut mesurer votre effort.

Car ce n’est plus seulement souhaitable de faire ce basculement, c’est vital. Parce que tant que vous attendez du monde qu’il reconnaisse ce que vous avez traversé, vous attendez d’un monde aveugle une vision qu’il n’a jamais eue. Vous espérez qu’un jour quelqu’un saura mesurer l’altitude que vous avez grimpée seul, le poids que vous avez porté, le courage silencieux qu’il a fallu pour continuer quand personne ne vous regardait.

Mais ce monde-là n’a pas vécu ce que vous avez vécu. Comment pourrait-il comprendre ?

Vous avez essayé. Vous avez raconté, parfois timidement, parfois avec courage. Et dans les meilleurs cas, vous n’avez reçu qu’un regard triste, une tête qui se penche, un “oh, c’est dur”, puis la conversation passe à autre chose. Et au début, cela vous suffit, parce que vous êtes affamé de reconnaissance, parce qu’un simple signe semble enfin valider votre vécu. Mais très vite, quelque chose en vous se raidit : personne ne saura jamais à quel point c’était difficile. Personne ne pourra mesurer les nuits, les angoisses, les effondrements intérieurs, les sacrifices invisibles. Personne ne saura combien de fois vous avez failli abandonner.

Et alors, insidieusement, le doute s’installe. Vous commencez à douter de votre propre histoire. À minimiser ce que vous avez traversé. À vous dire :

“Peut-être que j’exagère.” “D’autres ont vécu pire.” “Ce n’est pas si grave.” “Il faut arrêter de se plaindre.”

Cette voix-là, vous la connaissez. C’est celle que vous avez dû adopter très tôt pour survivre dans un monde où votre souffrance n’avait pas de place. C’est la voix de l’effacement, celle qui vous coupe encore une fois de votre vérité.

Il faut arrêter ça. Maintenant. Net. Il faut étrangler cette voix-là. Celle qui minimise, qui relativise, qui vous explique que “ce n’est pas si terrible” alors que vous avez porté ce que beaucoup n’auraient pas supporté une semaine.

Et pour une fois, il faut écouter l’autre voix, plus discrète mais plus juste, celle qui dit : “Quelle vie j’ai eue.”

Non pas pour dramatiser, mais pour valider et pour pouvoir en sortir. Car le deuil commence toujours par cette phrase-là. Le deuil de ce qu’aurait pu être votre vie si quelqu’un, quelque part, avait tenu son rôle. Le deuil de la justice que vous attendiez et qui ne viendra pas.

Parce que personne ne pleurera votre perte à votre place. Personne ne fera ce deuil à votre place. Personne ne pourra mesurer votre histoire mieux que vous.

C’est une injustice supplémentaire, oui. Une injustice amère.

Mais le moment où vous cessez d’attendre une reconnaissance extérieure pour légitimer votre propre vécu. Le moment où vous devenez enfin votre propre témoin. Votre propre hommage. C’est exactement là que la survie se transforme en vie.

À propos de l’auteur

Je suis Ayoub El Haroussi, psychologue clinicien à Bordeaux.
J’accompagne des adultes qui se sentent émotionnellement bloqués, en situation de transitions de vie, de deuil, de surcharge mentale ou d’anxiété relationnelle

Je reçois en cabinet à Bordeaux et en visioconférence.

Si vous vous êtes reconnu dans ces mots, je vous invite à franchir le pas et à en parler.

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