Le piège du “j’aurais dû savoir” : quand se blâmer semble logique

Parmi les pensées qui passent sous notre radar, il y en a qui semblent presque banales, sans vrai impact sur notre bien-être : 

“Je n’aurais pas dû dire ça.” “Je n’aurais pas dû faire cette erreur.” “Pourquoi j’ai réagi comme ça ?”

 Ce sont des phrases anodines en surface, qui se diffusent dans la journée, dans des situations où rien n’est en jeu, mais elles renforcent l’idée que la moindre imperfection est une faute morale. On se punit pour un mot mal placé, pour un oubli sans importance, pour un geste maladroit, comme si chaque détail révélait un défaut fondamental en nous. Ces autocorrections sculptent un soi avec une vigilance permanente qui alimente l’autoflagellation (qu’on aime tant). Et plus ces autocorrections se répètent, plus elles donnent l’impression que la moindre erreur confirme quelque chose de défectueux en nous.

Vous vous dites peut-être que vous devez penser comme ça. Que vous êtes pragmatique en faisant cela. Et c’est presque logique. Après tout, vous êtes la seule variable que vous pouvez maîtriser. Tout le reste n’est qu’un ensemble de variables parasites, incohérentes, imprévisibles. Alors le cerveau préfère se concentrer sur ce qui dépend de vous, même si cela veut dire se faire porter tout le poids. 

Mais ce que vous avez longtemps considéré comme une force, comme du pragmatisme… finit par vous compliquer la vie. Ce qui était logique une fois (quand vous aviez moins de choix), maintenant vous enferme.

Mais pourquoi est-ce si naturel de penser de cette manière ? 

L’esprit a une manière particulière de transformer un événement complexe en un récit à une seule cause. Lorsqu’un incident arrive, tous les éléments qui composent réellement la situation disparaissent : les choix des autres, leurs émotions, le hasard, les contraintes invisibles, les informations manquantes, les dynamiques relationnelles. Tout ce qui dépasse notre contrôle est effacé. Il ne reste qu’une seule chose, toujours la même : notre propre action. Cette réduction radicale donne l’impression d’être lucide, alors qu’elle n’est qu’un écrasement du contexte.

À partir de là, le cerveau compresse l’ensemble de l’événement autour d’un point unique : ce que nous avons fait, ou pas fait. Et comme notre action aurait pu être différente, l’esprit conclut qu’elle aurait dû l’être. 

La logique implicite est simple : si j’ai agi, j’aurais pu agir autrement ; si j’aurais pu agir autrement, j’aurais dû prévoir ce qui allait arriver. C’est une déduction émotionnelle, pas une vérité objective, mais elle se présente comme une évidence. C’est ainsi que naît le “j’aurais dû mieux savoir.”

Et ce n’est rien d’autre qu’une exigence d’omniscience adressée à notre passé. Le moi d’avant est jugé à la lumière du moi d’aujourd’hui, comme s’il avait dû prédire ce qui n’était pas prévisible. L’erreur n’est plus une erreur : elle devient une faute morale. Le manque d’information se transforme en manque de clairvoyance. C’est un verdict impossible à satisfaire.

En arrière-plan, plusieurs présupposés hérités alimentent ce processus. L’idée que seul notre geste compte, que quelqu’un doit être coupable quand quelque chose va mal, que ne pas anticiper un danger est une preuve de négligence. Ces croyances ne sont jamais choisies. Elles viennent d’environnements où l’on était tenu responsable de choses qu’on ne contrôlait pas, où le chaos était dangereux, où la survie dépendait d’une vigilance extrême tournée vers soi-même. Dans ce contexte, l’esprit apprend à ignorer les causes externes et à ramener toute la responsabilité sur ses propres épaules.

Ce mécanisme n’a rien de rationnel. Il répond au besoin de maintenir un sentiment de contrôle. Se dire “c’est de ma faute” protège de reconnaître que certaines choses arrivent sans logique, sans avertissement, sans que nous puissions les empêcher. La culpabilité, aussi lourde soit-elle, offre une forme de sécurité. Si j’ai causé le problème, alors le monde est encore gouverné par des règles. Si je suis responsable, alors je peux faire mieux la prochaine fois. Si je me blâme, je ne suis pas impuissant.

C’est pour cette raison que l’incertitude paraît bien plus dangereuse que l’auto-blâme. L’incertitude implique que le monde peut être arbitraire, que des forces incontrôlables peuvent briser ce que l’on aime, que notre vulnérabilité est réelle et permanente. Reconnaître cela, c’est accepter que l’on ne peut pas toujours se protéger, que l’on ne peut pas anticiper l’invisible. Pour beaucoup, c’est une menace trop grande. La culpabilité, aussi douloureuse soit-elle, reste familière : elle donne des règles, des repères, un ennemi identifiable. L’incertitude n’offre rien de tout cela.

En fin de compte, s’auto-blâmer revient à choisir la douleur que l’on connaît plutôt que le vide que l’on redoute. C’est une façon de préserver l’illusion d’un monde cohérent, où chaque événement a une explication, où l’on peut éviter d’être blessé si l’on reste vigilant. L’esprit préfère souffrir de responsabilité excessive plutôt que de faire face à l’idée qu’on ne contrôle pas grand-chose. Parce que perdre le contrôle, vraiment, c’est perdre la sécurité, alors que se blâmer, au moins, maintient l’idée qu’il existerait une façon de faire mieux, une manière d’éviter la douleur, une place à tenir dans un monde autrement trop vaste et trop imprévisible.

À propos de l’auteur

Je suis Ayoub El Haroussi, psychologue clinicien à Bordeaux.
J’accompagne des adultes qui se sentent émotionnellement bloqués, en situation de transitions de vie, de deuil, de surcharge mentale ou d’anxiété relationnelle

Je reçois en cabinet à Bordeaux et en visioconférence.

Si vous vous êtes reconnu dans ces mots, je vous invite à franchir le pas et à en parler.

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